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PLUIES TIBET

Nom du projet : 
Etude de la variabilité des précipitations au sud-est du Tibet par analyse isotopique des cernes des arbres, des glaciers et des précipitations
Période : 
mai 2008 - septembre 2010
Nom du coordinateur : 
Valérie Masson-Delmotte

Objectif
Le projet PLUIES-TIBET était basé sur l'analyse des isotopes stables de carbone (13C) et d'oxygène (18O) des cernes d'arbres pour fournir une meilleure estimation de l'impact de la variabilité interannuelle, décennale et centenaire des précipitations sur d'autres variables climatiques, une évaluation des simulations de modèles atmosphériques pour cette région et de la réponse des arbres/forêts locales au changement climatique.

Résultats majeurs
Contrairement aux attentes théoriques selon lesquelles la discrimination du carbone serait très sensible à l'humidité relative au cours de la saison de croissance, des mesures de cernes d'arbres sur une période de cinquante ans, effectuées sur un groupe de jeunes arbres, se sont révélées décevantes : les données présentaient d'importants écarts entre les arbres et aucun lien avec les indicateurs locaux de climat ou d'humidité n'a pu être observé sur la base des analyses statistiques. Les simulations effectuées en utilisant le modèle ORCHIDEE-iso pour la discrimination du carbone laissent à penser que l'absence de signal face aux indicateurs climatiques de moyennes saisonnières s'explique par l'intermittence de la photosynthèse, qui atténue l'empreinte climatique instantanée.
En revanche, les 18O ont fourni des résultats plus satisfaisants. Une comparaison avec les données météorologiques a fait apparaître de bonnes corrélations avec des indicateurs d'humidité, y compris de l'humidité relative, l'indice de sécheresse de Palmer, les données sur la couverture nuageuse et les précipitations. La plus forte corrélation linéaire a pu être obtenue grâce aux données régionales de la couverture nuageuse. Le modèle ORCHIDEE-iso a également été utilisé pour simuler la dynamique de 18O des arbres. Il a permis également de simuler une forte corrélation entre 18O et l'humidité relative locale, conformément aux prévisions obtenues grâce aux mécanismes de l'enrichissement de l'eau de feuilles.
Accéder au diaporama sonorisé du projet PLUIES-TIBET.

Dimension interdisciplinaire
Ce projet a mené à une collaboration entre modélisateurs du climat et paléoclimatologues.

Figure clé




18O issue des cernes d'arbres au Tibet sur la période XIXème and XXème siècles (a) et reconstruction de la couverture nuageuse sur la même période(b). Les analyses statistiques mettent en avant un changement de régime vers un climat plus sec au début du XXème siècle. On notera également une période de sécheresse dans les années 1810 certainement liée à deux éruptions volcaniques majeures qui se sont produites en 1809 et 1815 (Tambora).
From Shi et al. 2012.

Laboratoires impliqués
Extérieurs au GIS : 

Laboratoire CNRS Milieux, Sociétés et Cultures en Himalaya, Villejuif

Collaborations internationales : 

Botany Institute, Beijing (Chine)
Institute of Tibetan Plateau Research, Beijing (Chine)
Département d’écologie de l’Université de Beijing (Chine)



Description du projet


Contexte

L’évolution du climat au Tibet aura potentiellement des impacts importants compte tenu du rôle joué par les glaciers tibétains sur l’alimentation des grands fleuves et l’eau disponible pour l’irrigation et pour l’usage des populations locales. Les rejets anthropiques de gaz à effet de serre pourraient induire un retrait rapide d’une grande partie de ces glaciers avec des conséquences négatives sur les ressources en eau. Cependant, le bilan de masse des glaciers est influencé à la fois par l’évolution des températures locales, mais également par l’évolution des précipitations. Au Sud du Tibet, les précipitations montrent une forte variabilité interannuelle à décennale, en relation avec la variabilité de la mousson indienne. Dans le cadre d’une thèse en co-tutelle entre le LSCE et le Botany Institute, l’étudiant Chunming Shi a étudié le potentiel de l’analyse isotopique des cernes d’arbres de forêts de haute altitude au sud-est du Tibet. Les premiers résultats obtenus sont très prometteurs, montrant une belle corrélation entre les concentrations en 18O de la cellulose et précipitations d’été au cours des derniers 50 ans.

Objectifs

Au vu de ces résultats encourageants est né le projet PLUIES-TIBET. Il vise :
à analyser la variabilité interannuelle, décennale et centennale des précipitations au sud-est du Tibet en tirant partie des arbres comme archives de la composition isotopique des précipitations et/ou de variables climatiques ;
à évaluer le réalisme des simulations des précipitations et de la réponse des forêts (en terme de productivité) à la variabilité du climat dans cette région.

Méthodologie

Cadre géographique

Au vu de la quantité de matière nécessaire pour conduire les analyses isotopiques, le site pilote a été choisi dans la vallée de Chayu, au sud-est du Tibet. Le site de la réserve naturelle de Gangcun permet en effet d’étudier un ensemble d’arbres (pins) relativement homogènes présentant une croissance rapide avec des cernes annuels suffisamment larges pour conduire des analyses annuelles et parfois arbre par arbre. Par ailleurs, ce site se trouve à proximité de 3 stations météorologiques (Bomi, Linzhi et Chayu) fournissant des enregistrements météorologiques depuis les années 1960 et permettant ainsi de confronter les mesures dendro-isotopiques à la variabilité climatique locale et régionale. Les premiers résultats obtenus dans le cadre du travail de thèse de Chunming Shi concernaient l’analyse isotopique des cernes annuels (de 1960 à aujourd’hui) de cinq arbres de croissance homogènes situés sur ce site.

 
Localisation des sites d'échantillonnage et des trois stations météorologiques de Bomi, Linzhi et Chayu.

Etapes de la recherche

Volet 1 : Reconstruction de l’histoire des précipitations dans la vallée de Chayu, au sud-est du plateau tibétain

Poursuite des travaux de reconstruction paléoclimatique

Dans un premier temps, on va poursuivre les travaux de reconstructions paléoclimatiques en utilisant les arbres les plus anciens (probablement 250 à 300 ans) déjà échantillonnés dans la réserve naturelle de Gangcun. Sur ces arbres anciens, les travaux de la thèse de Chunming Shi vont porter sur la datation et l’obtention d’un indice de croissance régional du bois (travail conduit à Beijing), puis dans un second temps sur la découpe, l’échantillonnage de cernes, l’extraction de cellulose et son analyse isotopique (réalisées au LSCE). L’étude pilote a montré que 5 arbres constituaient une population suffisante pour s’affranchir du problème de variabilité isotopique inter-arbres. L’analyse isotopique 18O de ces échantillons sera complétée par une analyse de la composition isotopique en carbone afin d’obtenir un second traceur du fonctionnement isotopique des arbres, plus directement influencé par les processus de photosynthèse et par l’ouverture des stomates des arbres. Ce second paramètre est particulièrement important car il donne accès à la discrimination en carbone et à l’efficacité en utilisation de l’eau des arbres, des variables qui peuvent être confrontées aux résultats des modèles de fonctionnement de la végétation (modèle ORCHIDEE développé à l’IPSL).

Comparaison des données empiriques aux résultats des modèles de végétation

Shilong Piao (Department of Ecology, Beijing) développe actuellement des modifications du modèle ORCHIDEE spécifiques à la végétation de prairie de haute altitude du Plateau Tibétain. Une réunion commune de travail sera programmée pour confronter les simulations de productivité de la végétation et de discrimination isotopique aux mesures de croissance du bois et de discrimination conduites sur le site de Chanyu. Les données météorologiques locales seront fournies pour forcer le modèle ORCHIDEE. La comparaison entre les simulations et les mesures dendro-isotopiques permettront de caractériser le fonctionnement écophysiologique des arbres et les processus clés intervenant dans la variabilité de la discrimination. Ces comparaisons pourraient permettre d’améliorer la modélisation de la réaction des forêts locales à la variabilité du climat et de la teneur atmosphérique en dioxyde de carbone.

Comparaison de la composition isotopique en 18O des cernes des arbres et des carottes de glace issues des glaciers de l’Himalaya

Les données de composition isotopique en oxygène de la cellulose sur plusieurs siècles seront confrontées aux données de composition isotopique provenant des glaciers de l’Himalaya et aux estimations des variations passées de l’accumulation déduite de l’analyse des carottes de glace (banque de données de l’équipe de Yao Tandong issue de plusieurs forages conduits en Himalaya). Ceci permettra de confronter pour la première fois deux archives très différentes (cernes et carottes de glace) dans une même région, mais à différentes altitudes.


L'analyse des carottes de glace permettent de déterminer le climat du passé.
Source : E. Lefebvre, Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (LGGE).


Evaluation de la variabilité des précipitations à l’aide d’informations historiques

Un effort de recherche d’informations historiques sera mené par des tibétologues français (notamment le laboratoire "Milieux, Sociétés et Cultures en Himalaya")  et européens dans l’optique de collecter les témoignages historiques liés au climat. Les sources les plus propices d’informations devraient être les biographies, parfois très détaillées au Tibet. Les informations liées à la variabilité des précipitations pourraient être décrites en relation avec des inondations, sécheresses ou famines. Les reconstructions climatiques seront comparées à ces informations historiques.

Volet 2 : Etude de la variabilité de la composition isotopique des précipitations locales et de leur relation avec la variabilité climatique

Ce second volet tire parti de l’opportunité de confronter les mesures conduites dans les cernes d’arbres à des mesures conduites sur les précipitations elles-mêmes. En effet, depuis plusieurs années, le Tibetan Plateau Research Institute réalise des prélèvements de précipitations, d’eaux de rivières et de lacs, ainsi que des forages dans les glaciers du sud-est du Tibet. Actuellement, ces relevés sont effectués dans le cadre de la thèse de doctorat de Gao Jin, une étudiante chinoise dont la thèse est dirigée par Yao Tandong, directeur de cet institut.

Analyse isotopique des précipitations

Dans le cadre de PLUIES-TIBET, il est envisagé d’inviter Gao Jin au LSCE pendant 3 mois afin qu’elle y réalise des mesures précises de la composition isotopique de ces échantillons d’eaux. Ces mesures seront précieuses pour sa thèse et, dans le cadre du présent projet, pour améliorer la compréhension de l’acquisition du signal isotopique entre les précipitations et les arbres.
Les gradients spatiaux et la variabilité temporelle de la composition isotopique des précipitations (intra- et inter-annuelle) seront mis en regard de la variabilité climatique et, grâce à des calculs de rétro-trajectoires à partir des analyses atmosphériques, de l’origine des précipitations.

Modélisation des températures et des précipitations dans la zone du Tibet

Il s’agit de compléter les observations menées en 1) par une approche modélisation. Les résultats de simulations menées à l’aide du modèle LMDZ (modèle de circulation générale atmosphérique de l’IPSL) équipé de la modélisation isotopique des précipitations (LMDZ-isotopes), seront comparés aux données météorologiques et isotopiques disponibles pour la zone Tibet.
Suite à cette phase d’évaluation, LMDZ-isotopes sera utilisé pour analyser les relations entre origine des précipitations, température, précipitations, humidité relative et composition isotopique de la vapeur d’eau, des précipitations et de l’eau du sol. Ces différentes variables seront combinées pour représenter la composition isotopique de la cellulose de cernes d’arbres attendue selon l’état des connaissances des fractionnements isotopiques se produisant au sein de l’arbre. Cette approche devrait permettre de comprendre la relation étroite déjà observée entre variabilité de la composition isotopique de la cellulose et précipitations d’été.
La variabilité locale des précipitations sera également comparée à la variabilité climatique de plus grande échelle, en particulier pour tester la signature locale de la mousson d’été indienne. Cette analyse sera conduite avec le modèle LMDZ et par des études statistiques menées à partir des données météorologiques locales et des indices de mousson.
Enfin, la variabilité actuelle des précipitations locales sera mise en perspective de leur variabilité passée grâce aux reconstructions (menées dans le volet 1) et à des simulations longues (simulations GIEC démarrant en 1850), et de la variabilité future (simulations GIEC). Cela permettra de comparer le spectre de variabilité des précipitations déduit des données instrumentales à celui issu des modèles climatiques, de tester le réalisme de la variabilité interannuelle à centennale simulée, et de mettre le changement climatique potentiel en perspective de ces données passées.

Documents complémentaires et liens : 


Publications/rapports


A bi-proxy reconstruction of Fontainebleau (France) growing season temperature from A.D. 1596 to 2000
Etien et coll.; Climate of the Past ; 4:91-106 ; 2008
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Sites web

Isotopes and Hydrology : pages web (en anglais) faisant le point sur l'utilisation des isotopes stables en hydrologie. Auteur : SAHRA (Sustainability of semi-arid hydrology and riparian areas).

WISER : Water Isotope System for Data Analysis, Visualization, and Electronic Retrieval. Base de données internationale rassemblant les données isotopiques, hydrologiques et météorologiques issues de différents réseaux de suivi et de plusieurs projets en hydrologie isotopique.

Contact projet : 
Coordination
Valérie Masson-Delmotte
Directeur de recherche CEA au LSCE
valerie.masson @ cea.fr