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Adaptabilité de l’oléiculture au changement climatique : bilan d’une étude réalisée en région méditerranéenne dans le cadre du projet REGYNA

La présente étude répond à une sollicitation des acteurs territoriaux de la Sierra Magina (Andalousie orientale, Espagne) quant au futur de l'oléiculture, monoculture dans cette région, face au changement climatique. Une recherche interdisciplinaire a associé des climatologues, des géographes et des sociologues, afin de mettre en relation la régionalisation du changement climatique avec sa perception par les acteurs locaux.

Bien que l'olivier soit un arbre adapté au climat méditerranéen, la production oléicole est dépendante de la quantité de pluie tombée entre octobre et mai de l'année précédant la fructification (figure 1 ; Source : Ortega Nieto 1986). Cette irrégularité est atténuée par l'irrigation par goutte à goutte, largement développée dans la région depuis les années 80 (50 % des surfaces d’oliveraies).

Une mission de terrain menée en novembre 2009 a permis de collecter les savoirs locaux sur les paramètres climatiques clef de la physiologie de l'olivier. Il en est ressorti que les rendements de l'oléiculture étaient d'autant meilleurs que :
- les températures maximales étaient modérées à l'automne et au printemps ;
- les pluies au printemps (floraison) et à l'automne (fructification) étaient suffisantes.
Il a également été décidé de suivre les précipitations hivernales qui jouent un rôle important pour la recharge des aquifères utilisés pour l'irrigation par goutte à goutte.
Ces paramètres climatiques clés pour l'oléiculture ont ensuite été utilisés pour produire une étude climatique adaptée à la région.

Un travail de régionalisation a été mené, basé sur les données de l'Agencia Estatal de Meteorología (AEMET) pour ce qui concerne le climat actuel. Garcin a étudié le climat au cours de la période 1980-2000, montré son caractère méditerranéen ainsi que sa variabilité spatiale et temporelle : des températures maximales chaudes (20-23°C, 25° dans la vallée), des précipitations annuelles comprises entre 450-800 mm sur le versant ouest et  300-600 mm sur le versant oriental, une variabilité interannuelle entre 15-25 % (versant est) et 15-45 % (versant ouest). Cette différenciation du climat entre versant ouest et est a été prise en compte dans la phase de collecte de données de terrain (enquêtes, étude biologique) qui s'est concentrée dans deux communes, l'une localisée sur le versant ouest (Bedmar), l'autre sur le versant est (Larva). L'influence du climat sur la diversité de la flore et de la faune compagne des oliveraies n'a pas été vérifiée. L'utilisation du sol dans la partie orientale (Larva) a changé récemment, les céréales ayant été abandonnées au profit de l'agriculture irriguée, à cause d'une diminution des pluies, d'après les témoignages recueillis.

Le climat futur a été étudié à l'échelle régionale en s'appuyant sur 17 modèles régionaux de climat du projet ENSEMBLES, sur une grille de 25 x 25 km (http://ensemblesrt3.dmi.dk). La région de la Sierra Magina est couverte par 6 mailles de grille. Une maille supplémentaire permet une comparaison avec la Vallée du Guadalquivir.

 

Figure 2 : La Sierra Magina et les mailles de la grille ENSEMBLE

Les simulations utilisent le scenario A1B. Les variations entre le futur et le présent sont calculées pour deux périodes, 2030-2050 et 2080-2100, le présent correspondant à la période 1980-2000. Pour la première période, 16 modèles prévoient une diminution des précipitations automnales (de -15 à -30 %) et une légère augmentation des températures maximales au printemps et à l'automne (de 1 à 2°C). Les prévisions sont variables selon les modèles pour le printemps et l'hiver. Pour la deuxième période, le changement climatique est plus accusé : une diminution des précipitations en automne et au printemps (-15 à -30%) et en hiver (0 à -30%), une augmentation des températures maximales de 3 à 7°C. De plus l'irrégularité des pluies augmenterait de 0 à 30 %  aux deux périodes. Ces prédictions ne varient pas significativement selon les mailles de la grille, et ainsi l'ensemble du territoire de la Sierra Magina serait affecté par des tendances comparables, de façon modérée dans un futur proche, beaucoup plus sévèrement dans un futur lointain. Cette vulnérabilité serait accrue par la tendance observée à la diminution des réserves en eau souterraines.

Figure 3 : Variation (%) des pluies simulées entre le futur  (2030-50 et 2080-2100) et le présent  (1980-2000), en utilisant le scenario A1B1, par maille de la grille, par saison et pour 17 modèles RCM du projet Ensemble


Des enquêtes auprès des acteurs territoriaux, ainsi que des élus locaux et des agriculteurs des communes de Bedmar et Larva, ont été réalisées par Alonso et par l'équipe du Ladyss (UMR 7533), afin de comprendre leur perception du changement climatique et d'évaluer l'adaptabilité de l'oléiculture. Les points de vue sont très différents. Les acteurs du développement sont mieux informés que les agriculteurs. Plus inattendu, certains considèrent le changement climatique comme une seconde chance dans la compétition territoriale entre la Sierra Magina et d'autres régions oléicoles. Ils ont un projet de valorisation de la biomasse des rémanents de taille des oliviers qui pourrait donner une « image verte Â» de cette région, relativement défavorisée aujourd'hui. La perception du changement climatique par les agriculteurs varie selon la place qu'occupe l'oléiculture dans leurs revenus, la taille de leur propriété et leur histoire de vie (migrations notamment).  Ils privilégient les paramètres économiques dans la gestion actuelle et prévisionnelle de leurs exploitations. Lorsque des prévisions climatiques pessimistes leur sont montrées , les petits et moyens agriculteurs montrent une certaine résignation, et évoquent  l'oléiculture pluviale comme forme d'adaptation, même s'ils ne sont pas prêts à y revenir. Les grands agriculteurs, et les moyens agriculteurs ayant émigré  au cours de leur vie, imaginent vendre leur propriété.

En conclusion, la région fait face à un défi important, mais il n'y a pas de consensus des acteurs locaux par rapport à cet enjeu. Dans le futur proche, les effets sur l'oléiculture de l'augmentation de l'irrégularité pluviométrique et la diminution des précipitations en automne pourrait être atténués par le recours à l'irrigation, à condition que les réserves souterraines soient bien gérées. Dans un futur plus lointain, l'adaptation de l'oléiculture sera plus difficile, et la prise de décision des acteurs territoriaux doit anticiper ce changement, compte-tenu de la longue durée de vie des plantations d'oliviers. De plus, la Sierra Magina, qui contribue au débit du Fleuve Guadalquivir dans son cours amont et dépend des gestionnaires de ce bassin pour les dotations en eau d'irrigation,  sera placée dans une situation de concurrence avec les autres utilisateurs de la ressource hydrique situés en aval (villes, agriculture irriguée, en particulier la riziculture). A l'heure où la Communauté autonome andalouse en vient à édicter une  « Loi de l'olivier Â»,  le futur de l'oléiculture de montagne andalouse apparaît incertain.

Les résultats de ces travaux ont été présentés aux acteurs locaux en Andalousie, lors d'un séminaire co-organisé avec l'Université de Jaen,  les 21 et 22 février 2011.

Ils ont été également été présentés au Congresso Iberico de Planificacion y gestion del agua, qui a eu lieu à Talavera de la Reina du 16 au 19 février 2011.
Télécharger le texte de la communication de l'équipe du projet REGYNA (en espagnol)